Le web mobile sera-t-il plus qu’un Minitel amélioré ?
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Le mobile est en train de devenir un chemin important, et parfois dominant, d’accès à l’internet. Ainsi, en Inde, un utilisateur de téléphone mobile sur cinq s’en sert pour se connecter à l’internet, et un internaute sur cinq est en fait un internaute mobile. La faute aux infrastructures, pas ou peu adaptées à la téléphonie fixe, et donc à l’internet "traditionnel", et au marché de masse de la téléphonie mobile, comme cela se passe souvent dans les pays en voie de développement.
Mieux : l’an passé, le nombre d’abonnés à l’internet à haut débit y a décliné alors que celui des internautes se connectant au web via leur téléphone mobile explosait. Les fournisseurs d’accès expliquent qu’ils se sont en effet décidés à couper l’accès à près de 400.000 de leurs 9 millions d’abonnés à l’internet parce qu’ils ne se connectaient jamais. A contrario, le nombre de mobinautes progressait de 7 millions (+ 23%), portant à 38 millions le nombre d’Indiens se servant de leurs mobiles pour accéder à l’internet, soit près d’un cinquième des 200 millions de possesseurs de téléphones mobiles que compte le pays.
Philipp Hoschka, responsable des programmes consacrés au web ubiquitaire et à l’accès au web via des terminaux mobiles du W3C, se demande ainsi quelle forme aura le web, et quels usages nous en aurons, dès lors que l’on y accèdera essentiellement via nos téléphones.
La victoire des mobiles sur les portables ?
Il rapporte à ce titre l’expérience d’une amie qui, ne pouvant momentanément plus se servir de son ordinateur portable, s’est mise à surfer depuis son téléphone, et qui ne peut plus aujourd’hui s’en passer : contrairement à son ordinateur, son téléphone est léger, toujours avec elle, il démarre bien plus rapidement et on accède donc à l’information beaucoup plus vite.
Mais à quel prix ? Et quelle sera l’expérience et la perception de l’internet lorsqu’on le pratique, voire le découvre, sur une fenêtre de quelques centimètres carrés ? Faudra-t-il développer des interfaces spéciales, comme le suggère une équipe de recherche de Motorola ? Ou bien, comme le suggère le reportage de Karyn Poupée au Japon, les mobiles deviendront-ils notre "nouvel appendice corporel" ?
A l’en croire, le tiers de la population, dans les transports en commun nippons, a les yeux rivés sur l’écran de leurs mobiles, et ils seraient 40% à avoir déjà utilisé leur téléphone portable dans leur baignoire, pour téléphoner, écrire des e-mails, écouter de la musique ou bien jouer.
Quelle que soit la dextérité de celle qu’on a appelé la "génération pouce" (http://www.moveandbe.com/article_generation_pouce_1.htm), il reste difficile d’imaginer qu’il soit possible de faire autant de choses sur l’internet avec ses deux pouces qu’avec ses dix doigts, et sur un écran de la taille (au mieux) d’une demie carte postale et non plus d’une feuille A4.
Des mobiles qui permettent de plus en plus de choses, mais à l’interaction de plus en plus limitée
Certes, le téléphone propose de plus en plus de fonctionnalités : porte-monnaie électronique, ticket de train, billet d’avion, clef pour ouvrir et fermer la porte de chez soi, carte de fidélité de boutiques ou encore aspirateur à publicités, suivant en cela la prédiction de Takeshi Natsuno, gourou de NTT Docomo, qui voulait "remplacer le portefeuille et le sac à main de (s)es clientes par leur téléphone portable" (http://tokyo.viabloga.com/news/le-telephone-mobile-nouvel-appendice-corporel-des-nippons-2).
Pour autant, les interactions avec les données, elles, on tendance à être plus que limitées. Si les codes barre 2 ou 3D et les messages sonores subliminaux permettent aux annonceurs d’envoyer une URL sans que le destinataire n’ait rien à taper, force est de constater, à la suite de Karyn Poupée (http://tokyo.viabloga.com/news/le-telephone-mobile-nouvel-appendice-corporel-des-nippons-2), que cela ne permet pas aux internautes mobiles de disposer d’une grande interaction avec les données.
Les téléchargements de musique, les fonds d’écran, les sonneries de portables, les services de tchat et de mises en relation (roses ou non), sont certes des gadgets très profitables pour les opérateurs, mais qui restent bien loin des possibilités d’échanges offertes par l’internet.
On est loin aussi des services futuristes qu’évoque ReadWriteWeb (http://www.readwriteweb.com/archives/12_future_apps_for_your_iphone.php) : systèmes permettant de "tagguer" la réalité, les gens, de créer des réseaux sociaux "physiques", de reconnaître ce que l’on aura photographié, de se servir de nos mobiles comme pièce d’identité ou encore d’espace de stockage de nos dossiers médicaux…
Retour vers le futur du minitel
Les usages assez pauvres de l’internet mobile en France comme dans le reste du monde, le montrent bien : "plus que répondre à un besoin, l’internet mobile est donc pour l’instant plutôt un moyen de remédier à l’ennui !," explique avec raison le JournalduNet (http://www.journaldunet.com/ebusiness/mobile/chiffre/080318-iab-opinionway-internet-mobile/index.shtml).
Dans les pays pauvres, n’ayant souvent pas la possibilité de se connecter via un ordinateur, une bonne partie des "services" qui leur seront proposés le seront sur mobile, sans tous les gadgets et fioritures proposés aux mobinautes des pays riches, mais avec de probables réels impacts économiques (http://www.research4development.info/news.asp?articleID=50187) mais aussi sociaux, politiques et culturels (http://globalenvision.org/index.php?category=5&fuseaction=library.print&itemid=1484&printerfriendly=1).
Dans les deux cas de figure, l’expérience internet proposée aux utilisateurs mobiles est généralement pauvre, peu interactive, très "descendante" - et chère. En cela elle fait penser - pour ceux qui s’en souviennent ! - au Minitel : peu d’informations sur l’écran, des commandes séparées du contenu (très loin de l’expérience des liens hypertextes disséminés dans le contenu multimédia d’une page web), un compteur qui tourne en permanence… ce qui ne l’empêchait nullement d’être utile, mais n’en faisait pas non plus un média de la puissance du web.
Il n’est donc pas exclu d’imaginer que la mobilité nous ramène à une espèce de Minitel marchand, certes pratique et en couleur, mais souvent payant, relativement lent, pas très ergonomique, et limité dans ses fonctionnalités.
Faut-il voir dans ce futur web mobile marchand, la même conception que celle qui, dans les années 90, nous présentait l’avenir de l’internet comme ne devant être qu’un vaste supermarché (http://www.uzine.net/article347.html) ? Quels usages sera-t-il possible de créer au milieu de ces fonctionnalités limitées ? Les utilisateurs en provenance des pays en voie de développement se contenteront-ils d’interagir avec leurs pouces ? Le web mobile sera-t-il autre chose qu’une vaste tuyau à push ?
Pour aller plus loin, il va falloir réfléchir aux appareils (à commencer par l’iPhone), aux interfaces et aux concepts de services. On lira à ce titre le manifeste de la conférence MEX (Mobile User Experiencen : http://www.pmn.co.uk/mex/agenda08.shtml), qui se tiendra en mai prochain à Londres, et qui dresse de toutes autres perspectives, autrement plus stimulantes. En vrac :
- le contenu est l’interface du futur,
- le combiné doit sortir du seul cadre de la main,
- la multiplication d’opérateurs et standards propriétaires est l’ennemie de l’innovation,
- le design est plus motivant que les fonctionnalités,
- les pays en voie de développement sont la nouvelle frontière de la mobilité,
- les moteurs de recherche requièrent une approche radicalement différente en matière de mobilité,
- les listes de contacts intelligents sont au coeur des futures interfaces utilisateurs,
- les systèmes de paiements par mobiles permettront de nous connecter aux machines, et plus seulement aux gens,
- les utilisateurs sont des individus complexes, uniques et contradictoires,
- le web 2.0 ne devrait pas faire oublier le potentiel de la reconnaissance vocale.
Ledit manifeste a quelque peu évolué depuis l’an passé, où il était plutôt question de simplifier les interfaces, de trouver le juste prix des services proposés, d’encourager l’interaction avec la communauté, ainsi que la publicité sur téléphones mobiles, de mieux reconnaître et mesurer les retours d’expérience des utilisateurs, et de favoriser une personnalisation "en profondeur". Preuve que la réflexion sur les usages du web mobile ne fait que commencer, que rien n’est encore fixé et qu’il n’est peut-être pas encore trop tard pour proposer aux mobinautes autre chose qu’un Minitel amélioré.